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Arts du XVe au XXIe siècle & Arts visuels et architecture

Arts visuels africains du 15eme au 21eme siècle

« Les arts africains, principalement la sculpture, sont connus en Europe depuis la fin du XVe siècle» grâce aux premiers explorateurs portugais qui rapportent des pièces d’ivoire sculptées, dont certaines réalisées à leur demande. Les pièces rejoignent les cabinets de curiosité puis les musées qui leur succèdent à partir du XVIIe siècle. Mais l’art africain n’est pas reconnu en tant que tel, les Européens de la Renaissance, férus d’art gréco-romain, considèrent les productions africaines avec mépris, utilisant le terme « fétiche » — mot venant du portugais du XVe siècle, servant à désigner les objets de culte des religions traditionnelles —, lequel connote la notion d’artificiel, de magique et de grossier.

Ces connotations persistent pendant au moins cinq siècles, jusqu’au début du XXe siècle ; ainsi, David Livingstone, dans ses relations de voyage datées de 1859, écrit, à propos d’un « fétiche », qu’il s’agit de l’« image grossière d’une tête humaine barbouillée de certaines substances enchantées» et le Grand Larousse du XIXe siècle, dans sa définition du mot « fétiche », utilise l’expression « culte grossier des objets matériels ».

La pénétration coloniale, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, permet de découvrir des artefacts, et les objets recueillis commencent à être étudiés sous l’angle archéologique et ethnologique. Ainsi et par exemple, l’art rupestre des grottes de Tsodilo au Botswana (site occupé depuis 100 000 ans av. J.-C.) est-il connu depuis le milieu du XIXe siècle ; l’art rupestre du Sahara (6000±900 ans av. J.-C.) est étudié depuis la même époque. Les premières sculptures d’Ife (avant 800 av. J.-C. — XVIIe siècle) sont mises au jour en 1911, à peu près en même temps que les têtes sculptées de la culture de Nok (1000 av. J.-C. — 300 apr. J.-C.), lesquelles commencent à être étudiées dans les années 1910 et 1930. Parmi les premiers à rédiger des monographies sur le sujet, Marcel Griaule étudie les masques dogon dans les années 1930… C’est la sculpture, notamment la sculpture sur bois — dont les masques —, qui mobilise l’attention au détriment d’autres représentations, considérées comme subsidiaires.

Marcel Mauss disait : « Un objet d’art, par définition, est l’objet reconnu comme tel par un groupe». C’est donc à la même époque, vers 1906, que les arts africains commencent à être traités en tant que tels sous l’angle artistique et esthétique : « les arts africains n’ont acquis leur qualité d’expression artistique authentique qu’après 1906», lorsqu’ils commencent à intéresser, sous le vocable d’« art nègre » — l’expression apparaît en 1912—, Picasso et Guillaume Apollinaire, notamment, et qu’ils inspirent le fauvisme et le cubisme puis, au début des années 1920, le sculpteur Alberto Giacometti.

African visual arts from the 15th to the 21st century

Même si le jugement artistique a évolué, l’« enchantement » de Livingstone continue à être invoqué au XXe siècle car l’intrication du sacré et du profane, caractéristique de la culture africaine, se retrouve bien évidemment et tout particulièrement dans l’art, tel celui des masques et des sculptures qui intéresse particulièrement les Européens : « L’un des principaux traits communs à l’ensemble de l’Afrique noire, dans le domaine de la sculpture, est que les masques sculptés ne sont pas conçus pour être contemplés comme œuvres d’art, mais pour être utilisés à l’occasion de cérémonies rituelles sociales ou religieuses» ; on considère donc que « l’art africain et, plus généralement l’ensemble des arts premiers, se définissent non pas à partir de leur esthétique, mais à partir de leur rôle. L’art animiste possède en tout premier lieu une fonction : la communication avec les esprits. » L’Occident postule en conséquence qu’on ne peut étudier un objet sans examiner son contexte socio-historique. L’art africain est donc analysé par les Occidentaux sous le double angle esthétique et ethnologique : « le rapport entre le matériel conservé et la connaissance de sa réalité contextuelle doit être recherché par un effort particulier et assidu de documentation, bien au-delà du premier regard esthétique. » Des expéditions ethnologiques, telle la mission Dakar-Djibouti qui, en 1931-1933, ramène 3 500 objets, partent étudier la culture africaine in situ, filmant les danses et les chants qui accompagnent l’exposition des masques et consignant des témoignages de la culture orale.

À l’instar du regard esthétique, le regard ethnologique sur l’art africain n’est cependant pas toujours dépourvu de préjugés ou de biais méthodologiques. L’association entre l’art et le sacré renvoie l’art africain au « primitif » : « L’image de la sculpture africaine comme « primitive » et comme associée à des rituels secrets et dangereux continue à influencer la perception de « l’art africain », surtout lorsque les connotations (relation avec la mort, sacrifice…) véhiculées par les objets sont prises au pied de la lettre : « Est-ce que l’historien de l’art de la Renaissance oserait parler des images de la Crucifixion comme des représentations d’un sacrifice humain ? Ou des représentations du Saint Sacrement comme centrées sur l’image du cannibalisme? »

Le discours sur l’art africain est monopolisé par l’Occident depuis sa découverte par les Blancs; le discours africain sur l’art africain apparaît avec des mouvements tels que celui, littéraire, de la « négritude » qui émerge durant l’entre-deux-guerres et les mouvements politiques de l’afrocentrisme — mené par des universitaires, dont Molefi Kete Asante — et de la Renaissance africaine — avec à sa tête l’ancien président d’Afrique du Sud Thabo Mbeki —, ainsi que via la reconnaissance croissante de la spiritualité traditionnelle au travers de la décriminalisation du vaudou et des autres formes de spiritualité, qui visent à faire (re)découvrir et (re)valoriser les cultures africaines traditionnelles.

D’un point de vue plus directement artistique, des rencontres mettant en avant la culture et les artistes du continent sont organisées dès 1956 avec le congrès des intellectuels noirs. En 1966, à Dakar, le premier festival mondial des arts nègres est un symbole de la volonté d’appropriation de l’art par les Africains eux-mêmes ; la problématique de la restitution aux pays d’origine des œuvres présentes dans les musées et chez les collectionneurs occidentaux y est déjà présente. C’est aussi l’occasion de montrer la diversité de l’art (peinture, sculpture, littérature…) au-delà des masques et des fétiches. Il est suivi du premier festival panafricain d’Alger en 1969, considéré par certains comme le symbole de la « renaissance culturelle de l’Afrique ».

Outre les pièces proprement historiques, les masques, statuettes, sculptures et autres ont acquis le statut d’œuvres d’art. Il ne s’agit pas d’objets très anciens, « le plus ancien masque africain conservé date du XVIIIe siècle», le bois, le raphia et les tissus qui les composent ne se conservant pas. Citons, comme pièces représentatives valant des sommes importantes sur le marché, les statues de Nok au Nigeria (700 av. J.-C. – 300 apr. J.-C.), les têtes en terre cuite d’Ifé au Nigeria (XIIe au XIVe siècle), les bronzes du royaume du Bénin, actuel Nigeria (XVIe et XVIIe siècles), la statue en métal du dieu Gou, venue du Bénin (XIXe siècle), les reliquaires des Kota du Gabon, les masques Gouro, les masques-cimiers ciwara des Bambaras du Mali, les statues Sénoufos du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire, ainsi que celles des Luba, les masques Fang du Gabon …

La présence de ces œuvres africaines dans les collections et musées occidentaux pose, par ailleurs, le sujet de la spoliation des biens culturels des pays africains. Les puissances coloniales ont prélevé de nombreuses pièces archéologiques et artistiques à l’époque de la colonisation928 et le florissant marché contemporain de l’art africain contribue à entretenir des pratiques contestables qui amènent la communauté internationale à légiférer. Acte marquant, durant l’été 2016, le Bénin dépose auprès de la France une demande officielle, une première pour une ancienne colonie d’Afrique francophone, celle de lui restituer les œuvres emportées à l’époque de la colonisation ; la demande porte sur environ 5 000 pièces.

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